jeudi 26 février 2015

Messe grise


La lecture de Casanova et la femme sans visage avait été une surprise plutôt agréable. Un roman policier dix-huitiémiste où l’auteur conviait, en personnages de premier plan (hors les deux « héros »), Sartine, Casanova et le comte de Saint-Germain. Du beau linge, et une intrigue qui ne s’essoufflait pas au fil des pages. Je me suis donc laissé aller à lire un deuxième roman d’Olivier Barde-Cabuçon de cette série de polars du « commissaire aux morts étranges » sous le règne de Louis XV : Messe noire (éd. Actes Sud, collection Babel Noir, 2013, 978-2330-02698-1 ; fiche de présentation sur le site de l’éditeur).


Le titre du roman est celui de la scène qui l’ouvre : une froide nuit d’hiver, un cimetière, le corps d’une enfant, et les restes d’une probable messe noire interrompue en cours de rituel. Les indices sont minces, mais le chevalier de Volnay et son étrange acolyte, duo dont on a fait connaissance dans le premier volume de la série, ne se laisseront pas décourager par cette minceur. Accompagnés d’une certaine Hélène de Troie (un pseudonyme, pensez-vous?) que Sartine, devenu lieutenant général de police leur a mis dans les pattes, ils se lancent sur la piste des satanistes.

« En haut lieu », on ne se réjouit pas à la perspective d’une résurgence d’une affaire sulfureuse comme celle des Poisons, qui avait secoué le règne de Louis XIV jusque dans l’entourage direct du roi. L’enquête de Volnay et du moine prend donc un tour politique, et dans ce genre d’ambiance, il y a de quoi se demander qui veut vraiment que la vérité éclate, et qui préfère que les vilaines histoires restent dans l’ombre.

Je ne déflorerai pas les dessous de l’intrigue, et me contenterai de dire que, jusqu’à une cinquantaine de pages de la fin du roman, j’étais bien content de ma lecture. Même si, comme dans une proportion non négligeable de « polars à énigmes », les enquêteurs ont souvent un peu trop de chance, un peu trop de facilité à extrapoler avec justesse à partir de bribes d’information, un peu trop de capacité à survivre, les armes à la main, à des adversaires bien meilleurs bretteurs qu’eux. Et, dans ces « enquêtes du commissaire aux morts étranges », comme dans d’autres polars historiques (la série mettant en scène Nicolas Le Floch, par exemple, pour en citer une dont l’arrière-plan historique est similaire), une propension à être très en avance sur leur temps, que ce soit sur le plan de la pensée politique ou des sciences médico-légales.

Passant par-dessus ces petits défauts souvent inhérents à ce genre de roman où se croisent les styles « polar » et « roman de cape et d’épée », je ne boudais pas mon plaisir. Et là, dans la dernière ligne droite, paf ! Le genre de chapitre qui me reste toujours en travers de la gorge : le chapitre où l’auteur, par la voix de l’enquêteur qui a tout compris et du coupable qui avoue tout, repasse en revue toutes les pièces du puzzle qu’il avait semées sous les yeux du lecteur, et explique audit lecteur toute la finesse du plan du méchant et toute la finesse encore plus grande de l’enquêteur qui a vu clair dans le jeu du méchant. Bon sans de bon sang, j’en suis arrivé à détester ces étalages artificiels. En tant que lecteur, j’accepte pleinement de me faire entourlouper par un auteur ; comme, en tant que spectateur, j’accepte pleinement de me faire entourlouper par un scénariste (comme Christopher McQuarrie pour Usual Suspects). Quand c’est le cas, j’applaudis : je perds le combat (de l’esprit) avec fair-play. Mais ce « chapitre explicatif » si caractéristique des « romans policiers à énigme » déclenche, chez moi, une réaction allergique.
Je suis peut-être comme un buveur qui sait que sa bouteille de gnôle lui donnera un mal de crâne carabiné le lendemain matin mais qui la boit quand même parce qu’il a du mal à s’en passer. Je sais que le chapitre final d’un roman à énigme, le chapitre-qui-vous-dit-tout, me donnera la gueule de bois. Et pourtant, je me laisse aller à en lire encore un, de temps en temps.
Mais il me faut du temps pour faire passer la gueule de bois. Surtout quand c’est juste le dernier verre de la bouteille qui me donne un coup derrière la tête.


Cette Messe noire était savoureuse... jusqu’au moment où le barman, à qui je demandais juste de me servir mon poison, s’est mis en tête de me faire la leçon, et j’ai ressenti qu’il me prenait pour un demeuré. C’est peut-être parce que les premiers verres m’avaient suffisamment grisé pour que j’oublie les petits trucs pas trop crédibles et que je me laisse porter par l’histoire. Mais le dernier verre m’a, paradoxalement, dégrisé et assommé à la fois.


Messe noire (prix Historia du roman policier en 2013) est un bon roman à énigme.


C’est moi qui ne suis pas fait pour les romans à énigme. Ou pas fait pour le chapitre final des romans à énigme. Le prochain que je lirai me le dira peut-être. Allez savoir !




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mardi 24 février 2015

Contenu explicite... ou pas


Il n’est pas impossible que, dans moins d’un mois, au moins de mes blogs sur Blogger se voie frappé d’une obligation d’être rendu « privé », c’est-à-dire d’un accès limité à des personnes s’inscrivant auprès de moi.
La raison en est le « Règlement relatif au contenu réservé aux adultes sur Blogger », dont voici le texte intégral :

À compter du 23 mars 2015, vous ne pourrez plus partager publiquement d'images ni de vidéos à caractère sexuel explicite ou montrant de la nudité sur Blogger.
Remarque : La nudité restera autorisée dans le contenu présentant un intérêt important pour le public, par exemple dans un contexte artistique, éducatif, documentaire ou scientifique.
Les modifications apportées à vos blogs existants
Si vous n'avez pas publié d'images ni de vidéos à caractère sexuel explicite ou montrant de la nudité sur votre blog, vous ne remarquerez aucun changement.
Si, par contre, votre blog inclut ce type de contenu, il ne sera plus accessible qu'en mode privé à compter du 23 mars 2015. Nous ne supprimerons pas de contenu, mais seuls le propriétaire ou les administrateurs du blog et les personnes avec lesquelles le propriétaire l'a partagé ont accès au contenu privé.
Les paramètres de vos blogs existants à modifier
Si votre blog a été créé avant le 23 mars 2015 et présente du contenu qui ne respecte pas cette nouvelle règle, plusieurs options s'offrent à vous avant son entrée en vigueur :
- Supprimer de votre blog les images ou les vidéos à caractère sexuel explicite ou avec des scènes de nudité
- Rendre votre blog privé

Si vous préférez supprimer votre blog de Blogger, vous pouvez l'exporter au format XML ou archiver le texte et les images qu'il contient à l'aide de Google Takeout.
Les conséquences pour les nouveaux blogs
Pour les blogs créés après le 23 mars 2015, nous pouvons être amenés à supprimer le blog ou à prendre d'autres mesures s'il présente du contenu à caractère sexuel explicite ou montrant de la nudité, conformément à notre Règlement relatif au contenu.

Il restera donc à voir si les billets dans lesquels j’ai utilisé des images comportant de la nudité entreront dans le champ des exceptions, à savoir « le contenu présentant un intérêt important pour le public, par exemple dans un contexte artistique, éducatif, documentaire ou scientifique ».

Je ne compte pas changer la façon de faire à laquelle je me suis tenu depuis que j’ai ouvert ces blogs : je ne cherche pas à être racoleur, mais, pour autant, je ne vais pas tourner le dos à toutes les œuvres qui comportent de la nudité, que ce soit celles qui décorent les salons de Monsieur de C., ou celles que je déniche dans le sillage de Corto, et que je relaie en sifflotant un air de défi.

Je ne tournerai pas le dos aux œuvres de François Boucher.



Ni à celles de Jean-Louis Sieff.




Ni à celles d’Hugo Pratt.



Et peut-être même irais-je jusqu’à écrire un billet spécifique sur une femme nue. Lulu, par exemple.




Chacun mène les combats qu’il peut !

lundi 23 février 2015

Tictac sans saveur


Les bédéphiles n’ignorent probablement pas les noms du scénariste Patrick Cothias et du dessinateur Norma.
Cothias a écrit quelques albums isolés mais s’est surtout rendu célèbre pour être l’auteur de séries à succès et souvent de longue haleine, en particulier dans des ambiances « historiques » : des 7 Vies de l’Épervier (en cours depuis 1983) au Vent des Dieux (1985-2011) en passant par Les Héros cavaliers (1986-1997) et autre Ninon secrète (1992-2004). Les sagas de la plume de Cothias m’ont parfois tenu en haleine, et parfois laissé sur le bord de la route quand j’avais l’impression d’une manque de renouvellement.

Quant à Norma, il a dessiné dans des genres très éclectiques, du western avec Capitaine Apache (1980-1995) aux explorations maritimes avec Pieter Hoorn (1991-1994), en passant par la nouvelle formule de Pif Gadget (2009). Le trait de Norma – trop chargé, presque trop appliqué – n’a jamais réussi, à lui seul, à soulever mon enthousiasme, même si j’ai pris quelque plaisir à lire Pieter Hoorn ou son adaptation graphique du Bossu (1997) sur un scénario de François Corteggiani.



Patrick Cothias et Norma s’associent à la fin des années 1980 pour produire Les souvenirs de la pendule, une évocation de la vie de Marie-Antoinette, future reine de France. Trois tomes naissent de cette collaboration, aux éditions Glénat, dans la collection Vécu : Schönbrunn (1989, ISBN 2-7234-1013-7), L’étrangère (1989, ISBN 2-7234-1108-7) et La vie de château (1990, ISBN 2-7234-1195-8).

Ces Souvenirs de la pendule s’inscrivent pleinement dans ce que j’ose appeler le « milieu de gamme » qu’offrait dans ces années-là la collection Vécu de Glénat. Des séries avec parfois des albums par dizaine, ancrées dans diverses périodes de notre Histoire, dont certaines d’une très grande qualité graphique et narrative (je pense, par exemple aux Tours de Bois-Maury d’Hermann, ou la première douzaine de tomes des Chemins de Malefosse quand ils étaient encore tracés par le duo Bardet-Dermaut, ou, bien sûr l’excellente Giacomo C de Dufaux et Griffo), d’autres plutôt passe-partout (Marie Tempête de Cothias et Wachs, ou le Pieter Hoorn que j’ai évoqué plus haut), et d’autres tout à fait oubliables – et d’ailleurs très probablement oubliées (comme Attila… mon amour de Mitton et Bonnet).

J’ose comparer cette collection Vécu de Glénat à la collection Grands détectives chez 10|18 : à mes yeux, du très bon, rarement ; du moyen, souvent ; du vraiment pas bon, parfois.


Les souvenirs de la pendule entrent dans la catégorie « oubliables-oubliés ». Dessin parfois si approximatif que j’ai peiné à discerner certains personnages des autres, texte bavard, ambiance gnangnan dans certaines parties et, au contraire, outrancière dans d’autres, mise en couleurs criarde de certaines pages, la lecture de cette trilogie m’a été douloureuse. J’ignore si une suite était prévue à ces trois premiers tomes ; toujours est-il que l’histoire que conte cette trilogie commence dans l’enfance de Marie-Antoinette et s’arrête en 1773, lorsque le déjà-couple-futur-royal arrive à Paris.


Je suis loin d’être un adorateur de Marie-Antoinette, je ne hurle pas « Au bûcher ! » lorsque sa vie fait l’objet d’adaptations déjantées, comme celle de Sofia Coppola, pas plus que je ne me rends en pèlerinage à Versailles pour l’anniversaire de sa mort. Et je ne suis pas nostalgique de la royauté ou de l’Ancien régime en général. Mon ressenti vis-à-vis des Souvenirs de la pendule n’est pas donc pas influencé par ces considérations. Et j’ai parfois des indulgences très subjectives pour des œuvres que d’aucuns jugent avec sévérité. Mais, ici, je n’incline pas à l’indulgence : je n’ai pas aimé. Point.


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samedi 21 février 2015

Coup d’oeil en coulisses


Les deux façons de traiter les « petits secrets de fabrication » sont légitimes : savourer un plat, un tour de magie, tableau, un film, sans se demander les efforts qui ont été nécessaires à le préparer et qui n’apparaissent pas dans ce qui semble être la facilité, la fluidité, du résultat final ; ou, au contraire, être piqué de la curiosité de savoir ce qui se cache sous la façade, les ingrédients particuliers, les tours de main répétés jusqu’à ce que la technique s’efface pour laisser la place à l’art, les petits trucs qui trompent nos sens.
Je dis sans détour que je suis un membre de la tribu des curieux. Non pas pour dénigrer le résultat final, mais par considération pour les efforts préparatoires, à mille lieues de ce que les « vendeurs de soupe médiatique ou culturelle » veulent nous faire avaler, comme les chanteurs qui devraient se contenter de chanter sous leur douche et que ces vendeurs installent au sommet des ventes d’albums, dans cette géographie trompeuse où l’on veut nous faire prendre les sommets des ventes pour les sommets de la qualité. Succès commercial et qualité ne sont pas forcément antagonistes, mais bien des exemples prouvent qu’ils ne sont pas, non plus, obligatoirement synonymes.


Pour en revenir à mon goût des coulisses – plus particulièrement dans le domaine de la bande dessinée, univers dont il sera question dans ce billet –, j’avais été très intéressé par deux livres qui éclairaient deux œuvres de François Bourgeon, un des dessinateurs et scénaristes du mon panthéon personnel du neuvième art :
– Dans le sillage des sirènes, de Michel Thiébaut (éd. Casterman, 1992, ISBN : 2-203-38021-7), autour de la série Les compagnons du crépuscule ;
– Les chantiers d’une aventure, du même Michel Thiébaut (éd. Casterman, 1994, ISBN : 2-203-38023-3), autour de la série Les passagers du vent, et dont j’avais dit quelques mots par ailleurs



Plus récemment, L’Épervier – Les escales d’un corsaire (éd. Soleil / Quadrants / Pelerin, 2013, 9-782-3-0203144-9) ont été publiées pour jouer un rôle similaire sur la série L’Épervier de Patrice Pellerin.
Cette série tourne autour des aventures terrestres et maritime d’un jeune noble breton sous le règne de Louis XV. Il m’est donc difficile, de ne pas penser, d’une manière ou d’une autre, aux Passagers du vent, qui avait porté le genre au pinacle. Pour autant, je ne tombe pas dans la comparaison forcenée, et je prends L’Épervier pour la série qu’elle est par elle-même. Et si la construction du récit et le graphisme sont moins puissants, à mes yeux, que dans l’œuvre de Bourgeon, la création de Patrice Pellerin n’est pas du second choix.




Le contenu des Escales d’un corsaire n’est pas inconnu des fans de la série : en effet, il s’agit surtout d’une compilation, dans une nouvelle mise en page, des articles accompagnant la prépublication des albums La Mission et Corsaire du Roy sous forme de livrets souples. Les albums de la série étaient publiés avec des délais de deux ans voire plus entre deux tomes : Le Trépassé de Kermellec (1994), Le Rocher du crâne (1995), Tempête sur Brest (1997), Captives à bord (1999), Le Trésor du Mahury (2001), Les Larmes de Tlaloc (2005), La Mission (2009), Corsaire du Roy (2012).




Il fallait donc bien jeter un os à ronger aux lecteurs impatients ! Mais ces os étaient garnis de suffisamment de viande pour que cette opération commerciale ne soit pas une arnaque outrancière. Ces 6 livrets – publiés sous le titre générique des Rendez-vous de l’Épervier (juin 2008, septembre 2008, avril 2009, mars 2011, avril 2012 et septembre 2012) – comprenaient des planches de ces deux BD, des esquisses, des illustrations en pleine page, et des documents annexes. Ces derniers ont été écrits par Pellerin lui-même en majorité, ainsi que par des historiens, des spécialistes du patrimoine, et s’organisent en quatre parties : « Être un marin du XVIIIe siècle », « Des lieux chargés d’histoire », « Un corsaire parmi les ors de Versailles », « Les coulisses de la création ».



Chaque lecteur peut ainsi découvrir comment Pellerin trouve des inspirations parfois fortuites, comment il intègre à ses dessins des lieux et bâtiments existant encore aujourd’hui, ou comment il reconstitue de manière plausible des lieux disparus. Les Escales d’un corsaire lèvent un coin du voile sur des maquettes, des plans, des photographies, des tableaux, qui ont nourri Pellerin et sa création, et aussi sur les relations humaines avec ceux qui lui ont prodigué des conseils et qui sont, pour certains, devenus ses amis.




Ce souci de la précision, jusque dans des détails qui échapperont probablement à la grande majorité des lecteurs qui ne sont pas aussi « pointus », est un plaisir que je comprends chez une personne qui dessine, comme chez une personne qui réalise un film, qui en choisit les costumes, les décors, les accessoires.
Je ne doute pas que bien d’autres auteurs et dessinateurs de BD préparent tout autant leurs propres créations. Et je ne prétends donc pas que Pellerin est au-dessus de lot dans sa préparation. Mais au moins, je dis que ce genre de livre satisfait ma curiosité. Il la satisfait doublement, comme bédéphile et comme amateur du XVIIIe siècle.



Ces Escales de l’Épervier n’ont rien d’indispensable : vous pourrez très bien vivre sans les lire. Et c’est peut-être bien parce qu’elles n’ont rien d’indispensable que vous aurez la frivolité de vous laisser aller à les parcourir !



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dimanche 8 février 2015

Mort étrange et bonne surprise


Depuis quelque temps déjà, c’est sur la pointe des pieds que je m’approche du rayon « polars historiques » d’une librairie. Mes déceptions dans les lectures de ce genre étaient devenues largement majoritaires sur mes satisfactions. Les romans à énigmes à la façon d’Agatha Christie me fatiguent autant dans une ambiance des années 1920 que dans un univers médiéval ou au Siècle des Lumières. Et Les romans où l’auteur plaque le contexte historique sous forme de leçons ou dans des dialogues interminables me fatiguent tout autant. Mes coups de cœur sont donc très rares, parmi lesquels A Conspiracy of Paper / Une conspiration de papier de David Liss, ou An Instance of the Fingerpost / Le cercle de la croix, de Iain Pears. Quant aux « séries policières historiques », j’en suis largement revenu, après des années de gloutonnerie de lecture.

Pour me faire sortir de ma réserve, il faut donc me jeter des appâts auxquels il m’est difficile de résister. Là, pour le coup, « polar historique + Casanova + éditions Actes Sud », j’ai eu un moment de faiblesse. Le genre de moment d’inattention qui fait que vous prenez un coup d’épée dans un combat déloyal.



En l’occurrence, c’est Olivier Barde-Capuçon avec son Casanova et la femme sans visage (Actes Sud, collection Babel noir n° 82, 2013, ISBN 978-2-330-01777-4, présentation sur le site de l’éditeur) qui a trompé ma défense pour porter son attaque. Un crime avec une victime sauvagement mutilée, un duo d’enquêteurs formé par un « commissaire aux morts étranges » et d’un moine qui sent le soufre, une galerie de personnages incluant Casanova le comte de Saint-Germain, manipulateurs d’esprits crédules, des grands personnages du royaume comme Louis XV et la marquise de Pompadour, et diverses coteries qui cherchent à remettre ce roi pervers dans le droit chemin ou, au contraire, à jeter la monarchie à bas.
Présentés comme ça, les ingrédients peuvent laisser présager une soupe indigeste. Pourtant, j’ai été surpris par la saveur assez fine de ce roman. Et je reconnais m’être laissé porter par le suspense tout au long des plus de 440 pages.

Si j’osais une comparaison de série à série, je dirais que cette « enquête du commissaire aux morts étranges », c’est un peu l’autre côté du miroir par rapport à une enquête de Nicolas Le Floch sous la plume de Jean-François Parot. Chez Barde-Cabuçon, le commissaire a un passé trouble ; son compagnon de route, un passé encore plus trouble ; le roi Louis XV est un monarque cyclothymique à tendance pédophile ; son valet Le Bel, un maquereau ; Sartine, un intriguant qui ne joue que ses propres cartes ; et le parti dévot est presque la moins dangereuse des forces qui agissent dans l’ombre.
Je ne célèbre pas devant ce roman comme s’il était exempt de tout défaut. Ainsi, parfois, le côté « police scientifique » frôle l’anachronique. Mais, comme cela faisait longtemps que je n’avais pas eu une vraie bonne surprise en polar historique, je ne vais pas bouder le plaisir que m’a procuré ce Casanova et la femme sans visage.

Et, alors que la série de Jean-François Parot a fini par perdre ma fidélité de lecteur (L’enquête russe, en 2012, m’avait fait franchir la limite de que j’arrivais encore à supporter, mais mon intérêt s’était déjà étiolé depuis deux ou trois titres de la série), je vais sûrement me pencher sur un autre roman d’Olivier Barde-Cabuçon dans sa série du chevalier de Volnay.
Évidemment, si cet autre roman me déçoit, je ne manquerai de lui donner la bastonnade. Au roman, pas à l’auteur. Je précise, vu que certains (lecteurs de mes billets ou auteurs eux-mêmes) ont parfois du mal à faire la différence entre mon avis négatif sur un livre et mon avis sur son auteur.
Et si cet autre roman me plaît, je le dirai tout aussi spontanément.

D’ici là, partisans ou opposants du commissaire aux morts étranges, n’hésitez pas à vous exprimer dans les commentaires de ce billet !

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PS : en ces temps où la caricature déchaîne les instincts meurtriers des esprits les plus dogmatiques, je signale la couverture de ce roman détournée sur le site couvzenvrac, sous le titre Casanova et la femme sans visa, et avec une aquarelle de Gaston Leroux.


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dimanche 4 janvier 2015

Le point sur le défi « Le siècle des Lumières »

Le défi « Le siècle des Lumières » court jusqu’au 16 novembre 2017 (date du tricentenaire de la naissance de l’encyclopédiste d’Alembert). Il s’agit publier des billets sur des œuvres ayant un lien avec ce siècle des Lumières (romans, pièces de théâtre, essais philosophiques ou scientifiques, œuvres musicales écrits durant la période 1670-1820 par tout auteur de cette Europe des Lumières ; romans contemporains ou films se déroulant à cette période et faisant intervenir un personnage ou un combat emblématique du thème ; expositions, documentaires, etc, y faisant référence, etc.)

Ce défi comporte 9 « grades » :
  • Mme de Tencin : 1 billet
  • Lavoisier : 2 à 4 billets
  • Condorcet : 5 à 9 billets
  • Mme du Deffand : 10 à 14 billets
  • Voltaire : 15 à 19 billets
  • Emilie du Châtelet : 20 à 24 billets
  • D’Alembert : 25 à 29 billets
  • Olympe de Gouge : 30 à 35 billets
  • Diderot : plus de 35 billets

Je vise le niveau Diderot.



Voici les œuvres sur lesquelles j’ai publié des billets, pour l’instant (1 beau livre, 2 romans, 1 BD, 1 supplément à une série de BD) :
  1. Les voyages de Casanova (2014) [beau livre]
  2. Olivier Barde-Cabuçon, Casanova et la femme sans visage (2013) [roman]
  3. Patrice Pellerin, L’Épervier - Les escales d'un corsaire (2013) [supplément à une série de BD]
  4. Patrick Cothias & Norma, Les souvenirs de la pendule (3 tomes, 1989-1990) [BD]
  5. Olivier Barde-Cabuçon, Messe noire (2013) [roman]

Casanova en grands voyages

Un bateleur de foire pourrait en crier les dimensions hors normes : 48cm de haut par 33cm de large, près de 3kg sur la balance !
Mon retour dans les salons de Monsieur de C., après une si longue absence épistolaire, se devait d’être à la (dé)mesure de Casanova. Et il devait aussi être un clin d’œil au thème du voyage. Le livre en très grand format Les voyages de Casanova (Citadelles & Mazenod, 2014, EAN 9782850886256 ; fiche sur le site de l’éditeur) ravira les amateurs de beaux livres et plaira à ceux qui, même s’ils connaissent déjà bien la vie du célèbre Vénitien, aime à découvrir des ouvrages exploitant cet univers si riche.



Ici, pas de surprise sur les textes extraits d’Histoire de ma vie, la somme (plus ou moins) autobiographique de Casanova, dans l’édition passionnante établie par Francis Lacassin (Ed. Robert Laffont, collection Bouquins, 1993), dont j’ai déjà eu l’occasion du dire du bien. Les autres textes, de la plume de Marco Carminati, historien de l’art – qui aussi écrit, par ailleurs, sur Piero della Francesca –, apportent quelques perspectives complémentaires.

Casanova a parcouru la grande Europe avec, comme principaux bagages, son esprit éclairé, son bagout bien d’aplomb, son charme sur les femmes comme sur les hommes, son élégance jusque dans la tricherie, sa capacité à retomber sur ses pattes comme les chats.
Ce beau livre évoque les voyages de Casanova au travers de textes touchant à des villes (Venise, Vienne, Paris, Londres, Berlin, Moscou, Madrid), des grandes plumes (Jean-Jacques Rousseau, Voltaire) et des despotes plus ou moins éclairés (Frédéric II de Prusse, Catherine II de Russie), des amours pas toujours faciles (Ester), et des épisodes peu glorieux dont il fera des moments de gloire (son incarcération puis évasion de la prison des Plombs, ou encore le duel au pistolet contre le comte Braniski).

Quant aux illustrations, elles mêlent, de façon assez originale, des images très différentes : des photographies en noir et blanc des villes évoquées, remontant aux années 1870 à 1930 ; quelques tableaux de peintres contemporains de Casanova, dont celui de Jean-François de Troy en couverture, La déclaration d’amour (1724) ; et des aquarelles d’Auguste Leroux, qui illustraient l’édition d’Histoire de ma vie de Javal et Bourdeaux (1932).



Même s’il n’a rien de révolutionnaire ou de renversant dans la production autour de Casanova, c’est un ouvrage qui saura faire plaisir aux amateurs de beaux livres et aux passionnés de Casanova.


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