samedi 21 février 2015

Coup d’oeil en coulisses


Les deux façons de traiter les « petits secrets de fabrication » sont légitimes : savourer un plat, un tour de magie, tableau, un film, sans se demander les efforts qui ont été nécessaires à le préparer et qui n’apparaissent pas dans ce qui semble être la facilité, la fluidité, du résultat final ; ou, au contraire, être piqué de la curiosité de savoir ce qui se cache sous la façade, les ingrédients particuliers, les tours de main répétés jusqu’à ce que la technique s’efface pour laisser la place à l’art, les petits trucs qui trompent nos sens.
Je dis sans détour que je suis un membre de la tribu des curieux. Non pas pour dénigrer le résultat final, mais par considération pour les efforts préparatoires, à mille lieues de ce que les « vendeurs de soupe médiatique ou culturelle » veulent nous faire avaler, comme les chanteurs qui devraient se contenter de chanter sous leur douche et que ces vendeurs installent au sommet des ventes d’albums, dans cette géographie trompeuse où l’on veut nous faire prendre les sommets des ventes pour les sommets de la qualité. Succès commercial et qualité ne sont pas forcément antagonistes, mais bien des exemples prouvent qu’ils ne sont pas, non plus, obligatoirement synonymes.


Pour en revenir à mon goût des coulisses – plus particulièrement dans le domaine de la bande dessinée, univers dont il sera question dans ce billet –, j’avais été très intéressé par deux livres qui éclairaient deux œuvres de François Bourgeon, un des dessinateurs et scénaristes du mon panthéon personnel du neuvième art :
– Dans le sillage des sirènes, de Michel Thiébaut (éd. Casterman, 1992, ISBN : 2-203-38021-7), autour de la série Les compagnons du crépuscule ;
– Les chantiers d’une aventure, du même Michel Thiébaut (éd. Casterman, 1994, ISBN : 2-203-38023-3), autour de la série Les passagers du vent, et dont j’avais dit quelques mots par ailleurs



Plus récemment, L’Épervier – Les escales d’un corsaire (éd. Soleil / Quadrants / Pelerin, 2013, 9-782-3-0203144-9) ont été publiées pour jouer un rôle similaire sur la série L’Épervier de Patrice Pellerin.
Cette série tourne autour des aventures terrestres et maritime d’un jeune noble breton sous le règne de Louis XV. Il m’est donc difficile, de ne pas penser, d’une manière ou d’une autre, aux Passagers du vent, qui avait porté le genre au pinacle. Pour autant, je ne tombe pas dans la comparaison forcenée, et je prends L’Épervier pour la série qu’elle est par elle-même. Et si la construction du récit et le graphisme sont moins puissants, à mes yeux, que dans l’œuvre de Bourgeon, la création de Patrice Pellerin n’est pas du second choix.




Le contenu des Escales d’un corsaire n’est pas inconnu des fans de la série : en effet, il s’agit surtout d’une compilation, dans une nouvelle mise en page, des articles accompagnant la prépublication des albums La Mission et Corsaire du Roy sous forme de livrets souples. Les albums de la série étaient publiés avec des délais de deux ans voire plus entre deux tomes : Le Trépassé de Kermellec (1994), Le Rocher du crâne (1995), Tempête sur Brest (1997), Captives à bord (1999), Le Trésor du Mahury (2001), Les Larmes de Tlaloc (2005), La Mission (2009), Corsaire du Roy (2012).




Il fallait donc bien jeter un os à ronger aux lecteurs impatients ! Mais ces os étaient garnis de suffisamment de viande pour que cette opération commerciale ne soit pas une arnaque outrancière. Ces 6 livrets – publiés sous le titre générique des Rendez-vous de l’Épervier (juin 2008, septembre 2008, avril 2009, mars 2011, avril 2012 et septembre 2012) – comprenaient des planches de ces deux BD, des esquisses, des illustrations en pleine page, et des documents annexes. Ces derniers ont été écrits par Pellerin lui-même en majorité, ainsi que par des historiens, des spécialistes du patrimoine, et s’organisent en quatre parties : « Être un marin du XVIIIe siècle », « Des lieux chargés d’histoire », « Un corsaire parmi les ors de Versailles », « Les coulisses de la création ».



Chaque lecteur peut ainsi découvrir comment Pellerin trouve des inspirations parfois fortuites, comment il intègre à ses dessins des lieux et bâtiments existant encore aujourd’hui, ou comment il reconstitue de manière plausible des lieux disparus. Les Escales d’un corsaire lèvent un coin du voile sur des maquettes, des plans, des photographies, des tableaux, qui ont nourri Pellerin et sa création, et aussi sur les relations humaines avec ceux qui lui ont prodigué des conseils et qui sont, pour certains, devenus ses amis.




Ce souci de la précision, jusque dans des détails qui échapperont probablement à la grande majorité des lecteurs qui ne sont pas aussi « pointus », est un plaisir que je comprends chez une personne qui dessine, comme chez une personne qui réalise un film, qui en choisit les costumes, les décors, les accessoires.
Je ne doute pas que bien d’autres auteurs et dessinateurs de BD préparent tout autant leurs propres créations. Et je ne prétends donc pas que Pellerin est au-dessus de lot dans sa préparation. Mais au moins, je dis que ce genre de livre satisfait ma curiosité. Il la satisfait doublement, comme bédéphile et comme amateur du XVIIIe siècle.



Ces Escales de l’Épervier n’ont rien d’indispensable : vous pourrez très bien vivre sans les lire. Et c’est peut-être bien parce qu’elles n’ont rien d’indispensable que vous aurez la frivolité de vous laisser aller à les parcourir !



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2 commentaires:

  1. Les Passagers du Vent avaient été un véritable coup de coeur !!

    Mais je n'avais pas boudé mon plaisir en lisant les deux premiers tomes de L'Epervier... Il faudrait que je continue ma lecture des tomes suivants...

    J'adore aussi découvrir le travail de documentation et jusqu'où le souci du détail est poussé chez les auteurs...
    Merci pour cet appel à la frivolité... ;)

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    1. Je te souhaite donc bon voyage dans le sillage de l’Épervier, tant par la série de BD que par ce hors-série qui en découvre quelques coulisses.

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