dimanche 14 octobre 2012

Souvenirs sanglants à Saigon

Milieu des années 1990. Saigon et le Sud-Vietnam sont tombés depuis plus de vingt ans. Pour certains, la ville a retrouvé son nom, qui a repris le dessus sur Ho Chi Min Ville. Les plus jeunes semblent même n’avoir aucun lien avec ce passé de guerre et de troubles. Aussi bien les jeunes Vietnamiens qui, portés par l’esprit d’entreprise, rêvent de se construire une vie meilleure, que les jeunes États-uniens qui viennent là en touristes, sac au dos, comme leurs aînés se rendaient à Katmandou.
Mais, pour d’autres, la guerre est encore très présente dans les esprits, dans les cœurs, dans les tripes. Pour certains, anciens combattants vietminh, c’est une haine sourde, qui brûle encore au plus profond de l’âme, nourrie du souvenir atroce d’une famille massacrée. Pour d’autres, anciens GI, le remords lancinant de faits d’armes peu glorieux, où les civils « payaient » à la place des soldats ennemis invisibles, introuvables. Pour d’autres encore, parents d’anciens combattants, c’est l’espoir ténu, presque irréaliste, que le fils ou le frère disparu au combat n’est pas mort, mais prisonnier dans un camp secret.



Le suicide d’un ancien GI dans un modeste hôtel d’un quartier populaire de Saigon, le Hanh Hoa qui donne son titre à ce roman de Thomas Bronnec, La fille du Hanh Hoa (éditions Rivages, collection Rivages Noir, 2012, EAN13 9782743623821), sonne les trois coups de l’ouverture d’une tragédie dont les personnages sont aussi divers que cela, plongés dans un tissu de demi-vérités et demi-mensonges, de souvenirs cachés et secrets de famille. Jusqu’à la révélation finale, que les connaisseurs de polars auront probablement devinée en arrivant aux deux-tiers du livre, mais qui ne fait tout de même pas s’étioler la tension du récit.
D’autant que Thomas Bronnec arrive à rendre particulièrement vivants tant Saigon et ses campagnes avoisinantes que toute sa galerie de personnages principaux et secondaires. Cette chair donnée aux décors aussi bien qu’aux protagonistes est probablement le fruit de l’expérience de l’auteur en tant que journaliste et de ses séjours au Vietnam : les détails du quotidien sont intimement liés au fil du récit, et non artificiellement plaqués comme c’est parfois le cas dans des polars « exotiques » ou « historiques ».

Au final, un bon polar, dans un décor assez peu utilisé, à ma connaissance.

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Pour l’anecdote, je signalerai quand même le film Off Limits / Saigon, l’enfer pour deux flics (1988) de Christopher Crowe, porté par le quatuor Willem Dafoe, Gregory Hines, Fred Ward et Scott Glenn. En 1968, en pleine guerre du Vietnam, deux membres du département des enquêtes criminelles de l’US Army travaillent sur une série de meurtres de prostituées à Saigon. Le duo de flics est, certes, un peu convenu (le gentil / le méchant, le Blanc / le Noir, les piques fréquentes qu’ils s’envoient mutuellement), mais sans que le film bascule pour autant dans la comédie policière black’n’white popularisée, quelques années plus tôt, par des succès comme 48 Hrs / 48 heures (1982) de Walter Hill ou Lethal Weapon / L’arme fatale (1987) de Richard Donner.



Tourné en partie dans les « quartiers chauds » de Bangkok, ce film, sans être un « grand polar », vaut tout de même le détour, pour le portrait qu’il brosse de l’arrière de ce théâtre d’opérations, et de l’effondrement de certaines barrières morales en tant de guerre.



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2 commentaires:

  1. Un polar qui fait voyager, c'est sympa !

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    1. Oui, et tout particulièrement quand ça fait découvrir un "terrain d'enquête" qui sort des sentiers battus.

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