dimanche 28 octobre 2012

Où est donc passée ta folie, Milos ?



Le Valmont (1989) de Milos Forman a eu le malheur d’arriver sur les écrans quelques mois après Les liaisons dangereuses de Stephen Frears, s’inscrivant donc dans un sillage déjà tracé. C’est regrettable pour le film de Forman, car lorsqu’il s’agit d’en parler, il est quasiment inévitable que la comparaison avec celui de Frears arrive dans la conversation.
Le film de Frears était déjà moins choc – car volontairement plus chic – que le roman de Choderlos de Laclos. Celui de Forman semble encore moins anguleux, presque plus autocensuré. Ainsi, le scénario de Jean-Claude Carrière, qui s’inspire bien sûr du roman, s’en éloigne largement plus que celui qu’a écrit Hampton pour Frears. Chez Laclos, Cécile de Volanges est violée par Valmont, et se fait avorter du fruit de ce viol ; chez Forman, Cécile est séduite par Valmont et en porte l’enfant. Chez Laclos, Mme de Tourvel se laisse mourir de chagrin ; chez Forman, elle se réfugie auprès de son mari qui passe généreusement l’éponge sur son infidélité passagère.


Attention, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : Jean-Claude Carrière n’est ni un manchot ni un traître systématique quand il s’agit d’adapter un roman au cinéma : ce qu’il a écrit pour Le retour de Martin Guerre (1982) de Daniel Vigne (à partir du roman de Janet Lewis), pour The Unbearable Lightness of Being / L’insoutenable légèreté de l’être (1988) de Philip Kaufman (roman de Milan Kundera) pour pour le Cyrano de Bergerac (1990) de Jean-Paul Rappeneau (pièce d’Edmond Rostand), ce n’est quand même pas torché sur un coin de table. Mais, pour distiller la cruauté et la provocation du roman de Choderlos de Laclos, peut-être fallait-il quelqu’un capable de plonger sa plume dans une encre plus retorse, plus déchirante, que celle avec laquelle Carrière a écrit ce Valmont. Trop gentil, au fond de lui, Jean-Claude Carrière ?


Même les acteurs choisis pour les rôles principaux semblent plus ronds, que ce soit les prédateurs ou les proies. Par exemple, Colin Firth (le Valmont de Forman) n’a pas le petit sourire carnassier de John Malkovich (le Valmont de Frears). Dans son rôle de séducteur, Firth semble plus fragile que Malkovich, presque moins froid ; le contraste que le roman établit entre le Valmont conquérant glacial du début et le Valmont déboussolé par ses sentiments enfin « humains » de la fin, s’en trouve diminué. Par contraste, si Annette Benning (Mme de Merteuil vue par Forman) donne une impression physique de moins de dureté que Glenn Close (Mme de Merteuil chez Frears), cela la rend plus dangereusement séduisante.


La distribution des rôles est allée à des acteurs plus jeunes que pour les mêmes rôles dans le film de Frears : Colin Firth (Valmont) a 29 ans, Annette Benning (Mme de Merteuil) en a 31, Henry Thomas (Danceny ; avez-vous reconnu en H. Thomas celui qui, en 1982, incarnait Elliott dans E.T. the Extra-Terrestrial, de Steven Spielberg ?) juste 17, et Fairuza Balk (Cécile de Volanges) pas plus de 15 ! Évidemment, la représentation – ou même simplement, l’évocation –, sur grand écran, du viol d’une jeune fille de 15 ans (et qu’importe, alors, l’âge du violeur) aurait été de nature à indisposer grandement le public potentiel de ce film.


Dans ce Valmont, la marquise de Merteuil et le vicomte de Valmont sont donc peints sous un jour moins détestable que dans le roman de Choderlos de Laclos, ou dans le film de Frears. Forman semble désirer nous en donner l’image de deux êtres qui veulent enterrer les conformismes mais qui finissent par tomber dans la fosse qu’ils ont creusée. En faisant de Valmont (ou, peut-être plus précisément, du duo Valmont-Cécile) le personnage principal de son film, Milos Forman distingue Valmont de Mme de Merteuil, et fait même de celui-là une victime de celle-ci.


Tant qu’à t’éloigner du roman, Milos – et cet éloignement est tout aussi légitime que la fidélité au texte originel – pourquoi n’as-tu pas poussé plus loin l’énergie, l’audace ? Ridley Scott s’est emparé du roman de Philip K. Dick Do Androids Dream of Electric Sheep? / Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques, pour en faire le superbe Blade Runner (1982), film noir et philosophique. De ton côté, tu avais dynamité Mozart dans Amadeus (1984), le peignant en rock-star déjantée, en génie foutraque et vulgaire, attachant et odieux. Pourquoi, après une première moitié de film porteuse d’émotion et de sensualité, es-tu resté si sage avec ce Valmont ? On pardonne tout aux traîtres, pour autant que leur trahison soit grande, belle, forte.

Quand tu as décidé de trahir Choderlos de Laclos, où était donc passée ta folie ?


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